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Jesus Corrales : Un parcours de vie tel un grand allégro

  • fourcaudot
  • 7 sept.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 sept.

Entrevue et rédaction : Julie Morin avec la collaboration de Jean-François Caron
Jesus Corrales enseignant une classe en août 2025 à l'École Florence Fourcaudot
Jesus Corrales enseignant une classe en août 2025 à l'École Florence Fourcaudot
Au début du mois d’août 2025, j’ai eu l’opportunité de rencontrer un danseur et professeur de ballet exceptionnel, qui vit à Montréal depuis plus de 20 ans : Jesus Corrales. Le jour de son anniversaire, je lui ai proposé de faire une entrevue avec moi, de façon à faire découvrir son parcours personnel et professionnel, qui est hors du commun.
Né à Cuba en 1969, Jesus Corrales est un danseur de ballet de renommée internationale dont la carrière est une histoire de détermination, de résilience et de passion. Son parcours, unique et plein de succès, est aussi marqué par de profonds défis personnels et professionnels, qui ont forgé l'homme et l'artiste qu'il est aujourd'hui.
Les années de formation et les débuts
L'histoire de Jesus Corrales ne commence pas dans un studio de ballet, mais dans une salle de gymnastique. Comme il est un enfant hyperactif, son entourage recherche pour lui une activité où il pourra dépenser son énergie.  Il pratique la gymnastique jusqu'à l'âge de 8 ans, mais malheureusement, une chute et une grave blessure au genou le contraignent à arrêter. Après une année passée à marcher à l’aide de béquilles, il souhaite retourner à la gymnastique mais, à Cuba, les places sont limitées et la compétition est féroce. Faute de place pour lui, le monde de la gymnastique lui est maintenant fermé. 
Cherchant encore une activité pour canaliser son énergie, on lui propose la peinture et la musique, puis, à l’âge de 14 ans, il découvre que son grand frère, de cinq ans son aîné, pratique la danse. Son frère le convainc de venir passer une audition pour entrer dans une école de danse en lui vantant les similitudes entre le ballet et la gymnastique, notamment les sauts. 
Jesus savait que l'idée de se lancer dans le ballet n'aurait pas été bien accueillie par son père, qui était très strict. Heureusement, son beau-père, un acteur cubain connu, est plus ouvert et l'encourage dans cette voie. Jesus passe une audition à l'école de danse de La Havane et, malgré le fait de s’y présenter en plein milieu de l’année, il est accepté grâce à son talent. Jesus décrit cette école comme la plus grande école de ballet de cette époque à La Havane.
Son passage dans cette école est un véritable exploit. Le programme de l'école est censé durer huit ans (cinq ans de formation élémentaire et trois ans de formation professionnelle), mais Jesus Corrales, grâce à sa discipline et son énergie, le complète en seulement cinq ans. Il se définit lui-même comme un élève « docile » qui fait toujours ce que le professeur demande, ce qui lui permet de progresser rapidement. Il affronte une épreuve lorsque, faute de garçons dans le programme professionnel, on y fait entrer des débutants et on lui demande de recommencer les bases. Face à ce qu'il perçoit comme une régression, il quitte l'école. Le directeur se rend à son domicile et le convainc de revenir, en lui promettant de poursuivre sa formation au niveau supérieur.
Le Ballet National de Cuba et le départ
Une fois sa formation terminée à 19 ans, Jesus Corrales a la chance d'être directement engagé au Ballet national de Cuba. Il y évolue rapidement, passant du corps de ballet au titre de danseur principal en seulement cinq ans. Cette période lui permet de danser avec de grands noms du Ballet national de Cuba, notamment sa directrice la légendaire Alicia Alonso, qui dansait encore, alors âgée de près de 70 ans. Il se souvient d'elle comme d'une ballerine forte, malgré une cécité partielle.
C’est aussi au sein de cette compagnie qu’il rencontre son épouse, la danseuse Taina Morales, qui y travaillait déjà. Fasciné par sa beauté et son style unique, il se rapproche d'elle, et en 1988, ils commencent à se fréquenter.
Son départ de Cuba est un moment marquant. À l'époque, les danseurs ne quittent l'île que lors de tournées, en ne revenant pas. Jesus Corrales est le premier à chercher un moyen officiel de partir, avec un contrat en main pour une compagnie de Monterrey, au Mexique. Après avoir parlé ouvertement de son désir de partir avec Alicia Alonso qui lui a exprimé un refus, il découvre qu’il a le droit de mettre fin à son contrat. Un avocat l’aide à faire signer le document nécessaire, et il obtient le droit de partir pour le Mexique où il est attendu pour danser au sein d’une compagnie dirigée par Ann Marie DeAngelo. Toutefois, Jesus et Taina doivent attendre six mois pour l’obtention de leur visa et ne peuvent plus s’entraîner au Ballet national, se retrouvant à pratiquer dans des studios de télévision montés comme des studios de ballet
Une carrière à l'international et la vie de famille
Jesus Corrales ne reste que deux mois à Monterrey avant de rejoindre le Ballet national du Mexique, à Mexico, où il travaille avec Taina pendant six ans. Par la suite, le couple déménage en Belgique, puis revient au Mexique pour la naissance de leur premier enfant. Ils croient que le Mexique sera plus sécuritaire et leur offrira un meilleur soutien familial. Cependant, ils sont confrontés à deux épreuves tragiques : leur appartement est cambriolé, et un de leurs meilleurs amis est assassiné. Bouleversé, Jesus Corrales décide de repartir.
Avec l’aide d’un ami, il décide de tout recommencer au Canada, sans rien connaître du pays. En 1998, il se rend à Winnipeg et est engagé au Royal Winnipeg Ballet, alors sous la direction d’André Lewis. Son épouse et leur fils le rejoignent huit mois plus tard. Elle aussi se joint à la compagnie et les choses se passent bien, malgré le choc de l’hiver canadien. La famille accueille un deuxième enfant et déménage ensuite à Montréal en 2004, où Jesus Corrales danse pour les Grands Ballets Canadiens, sous la direction de Gradimir Pankov.
C’est durant cette période qu’il doit faire face à une autre épreuve, une grave blessure au dos, qu’il attribue aux années de gymnastique de son enfance. Il souffre de deux disques manquants dans la colonne vertébrale. Face à la possibilité d'une chirurgie à haut risque, il choisit de ne pas se faire opérer. Il refuse également une rente d’invalidité, par peur de perdre le droit de faire ce qu’il aime.
L'héritage et l'avenir
Jesus Corrales prend sa retraite comme danseur en 2008, mais ne quitte pas le monde du ballet. Il enseigne et fait du coaching. C’est dans ce contexte que j’ai eu l’immense privilège de le rencontrer.
Jesus Corrales garde un souvenir impérissable de ses débuts, et particulièrement du rôle de Basilio dans le ballet Don Quichotte. Il se souvient d'avoir eu seulement trois jours pour se préparer et surtout de la réaction de son père qui, jusque-là, avait toujours désapprouvé sa passion pour la danse. En le voyant sur scène, son père a fondu en larmes, réalisant son talent exceptionnel. Aujourd'hui, les deux fils de Jesus Corrales sont également devenus des danseurs professionnels. Jesus continue de les soutenir et de les accompagner, même s'il avoue être toujours stressé lorsqu'il les voit sur scène. 
Le parcours de vie de Jesus Corrales est un témoignage puissant, car c’est sa passion inébranlable pour le ballet qui lui a permis de surmonter les obstacles et les blessures. Jesus a continué à partager cette passion avec ses fils et une nouvelle génération de jeunes aspirants à la formation en ballet, notamment celles et ceux qui ont participé au stage du mois d’août 2025 à l’École Florence Fourcaudot.

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